Logiciels défectueux, serveurs vides, grosses possibilités d’abus… l’ « immobilier du futur » a décidément du pain sur la planche. Depuis le rebranding de Facebook en Meta, nous assistons à une ruée vers les terrains numériques, des investisseurs n’hésitant pas à acheter des parcelles de terrain dans le cyberespace, parfois moyennant des millions de dollars. Pour le novice, si tant de personnes se ruent pour acheter de l’immobilier sur le métavers, c’est qu’il y a forcément des gains à la clé. Apparemment, la réalité serait tout autre… Décryptage.
Le boom des terres virtuelles ?
Le métavers ou web 3.0 est un sujet dans lequel investissent beaucoup de sociétés à l’image de Meta de Marc Zuckerberg, Webedia de Marc Ladreit de Lacharrière ou encore Apple. Cela dit, il faut savoir que le changement de marque de Facebook en Meta a donné un lieu à un quiproquo qui, décidément, a la peau dure. Depuis ce rebranding, on parle de métavers au singulier, alors qu’en réalité, il en existe plusieurs. Dès lors, on pense à tort que, par exemple, si une entreprise dit que son application de RV (réalité virtuelle), son jeu vidéo ou sa plateforme sociale fait partie du « métavers », alors cette application sera le lieu où ce fantastique futur qu’on nous vend va se produire.
C’est alors que des articles publiés un peu partout font état d’un véritable boom des terres virtuelles, soulignant la vente pour 2,4 millions de dollars d’un domaine de 116 parcelles dans le Decentraland, alors que les investisseurs déversent des millions de dollars dans des lieux virtuels. Dans ces articles, les dirigeants de Metaverse Group, une société qui se décrit elle-même comme une « société immobilière virtuelle », décrivent l’achat de parcelles de terrain dans le « métavers » comme étant comparable à l’achat d’une propriété à Manhattan bien avant que la ville ne se développe.
Plus précisément, des plateformes comme Decentraland ou Sandbox vendent des jetons basés sur les NFT qui pointent vers des sections d’une carte dans leurs mondes virtuels spécifiques, mais ces espaces ne se croisent pas. Comme l’a expliqué à WIRED Dan Olson, un vidéo-essayiste qui a beaucoup couvert les expériences et les mouvements sociaux en ligne, des concerts numériques de Fortnite à la terre plate et à QAnon, et qui fait actuellement des recherches sur la sphère cryptographique, « ils vendent leurs jetons qui vous donnent la permission de construire dans leur espace. Vous achetez donc effectivement leur service ».
Gardez toutefois à l’esprit que vous n’achetez que des chiffres sur un ordinateur…
La réalité est tout autre
Même si Decentraland parvenait à attirer des marques de mode de luxe pour qu’elles construisent des vitrines dans son monde virtuel, ces vitrines ne sont naturellement utiles que s’il y a des utilisateurs à qui vendre. A ce jour, ce n’est pas (encore ?) le cas. Cela ne veut pas dire qu’à l’avenir, les marques de luxe ne pourront pas avoir des vitrines dans des mondes virtuels où les utilisateurs pourraient parcourir leurs boutiques comme dans un vrai magasin. Mais entre des bugs logiciels et une faible base d’utilisateurs, les chances de le voir sont minimes. Pourtant, les investisseurs semblent croire qu’il y a de l’argent à gagner sur le métavers…
Et l’argent dans tout ça ?
L’argument principal de Decentraland est que les utilisateurs peuvent venir « acheter des terres » dans le jeu, mais le processus est compliqué. Les utilisateurs ne peuvent pas acheter des jetons de terre directement avec des dollars ordinaires. La plupart ne peuvent même pas être achetés avec de l’éther, l’alternative populaire au bitcoin. Au lieu de cela, comme de nombreux projets cryptographiques, Decentraland a sa propre crypto-monnaie appelée mana – techniquement un jeton ERC-20, un type d’actif numérique – ce qui signifie que, bien que Decentraland soit construit en utilisant la blockchain Ethereum, le prix du mana peut être beaucoup plus volatil que celui de l’éther.
Actuellement, les terrains les moins chers de Decentraland se vendent généralement autour de 4 000 mana, ce qui, à l’heure où nous écrivons ces lignes, coûterait près de 15 000 dollars. Cependant, une fois qu’un utilisateur achète un terrain, il possède cet actif jusqu’à ce que quelqu’un veuille acheter cette parcelle spécifique – les jetons ne sont pas fongibles, après tout. En revanche, le mana est fongible, ce qui signifie que si un utilisateur détient d’énormes quantités de mana, il peut vendre ces jetons à quiconque a besoin d’acheter du mana, y compris à tous les nouveaux utilisateurs qui se sont présentés pour acheter des terres.
Étant donné que les terres sont si chères et que le marché du mana est si petit, il ne faut pas beaucoup d’activité pour faire bouger l’aiguille du prix de l’un ou de l’autre côté. « Si vous publiez un communiqué de presse, cela modifiera-t-il le prix de l’éther ? Oui, cela pourrait modifier le prix de l’éther », explique M. Olson, avant de poursuivre : « Mais ce qui va véritablement impacter le prix, c’est le prix du mana et le prix de la terre ».
Cela s’est déjà produit à deux reprises avec le mana. Dans les deux jours qui ont suivi le changement de marque de Facebook en Meta, le prix du mana qui, à l’époque, avait rarement dépassé 1 dollar, a grimpé en flèche pour atteindre 3,71 dollars. À l’époque, les médias, à commencer par des sites de niche consacrés aux crypto-enthousiastes comme CoinDesk, puis CNBC, ont fait état de la hausse du prix du mana et l’ont interprétée comme un intérêt positif pour le « métavers ».
Aubaine ou arnaque ?
Si l’augmentation des prix n’est pas nécessairement la preuve d’une manœuvre malveillante, l’essor des systèmes de pompage et de vente de cryptomonnaies devrait au moins inciter au scepticisme. Le jour où le mana a atteint son plus haut niveau historique, le volume des transactions sur le jeton a atteint plus de 11,4 milliards de dollars, ce qui éclipse totalement les 2,4 millions de dollars dépensés pour la vente d’un terrain.
Il se peut que Decentraland, ou d’autres mondes virtuels de ce type, soit l’avenir d’Internet. Mais si ce n’est pas le cas, d’énormes sommes d’argent ont déjà été investies dans leurs systèmes, et il y a fort à parier que quelqu’un restera sur le carreau. Et compte tenu de l’histoire qui entoure bon nombre de ces projets de « métavers », à savoir que l’avenir de l’internet se trouve dans cet espace spécifique et que si vous achetez maintenant, vous pourrez être le propriétaire du prochain Manhattan numérique, ceux qui se retrouveront à la traîne pourraient bien être des gens ordinaires qui se sont simplement laissés séduire par le narratif popularisé par les médias…