Alors que le secteur du bâtiment génère à lui seul près de 46 millions de tonnes de déchets par an, la valorisation de ces matériaux devient une priorité stratégique. Le réemploi, plus ambitieux que le simple recyclage, s’impose peu à peu comme une réponse concrète à la crise écologique. Mais entre freins techniques, incertitudes juridiques et marché balbutiant, les professionnels ont besoin de repères. Voici les clés pour y voir clair avec Jean Fixot, PDG de Chimirec !
Ne pas confondre réemploi, réutilisation et recyclage
Le réemploi ne se confond ni avec la réutilisation, ni avec le recyclage, et c’est là un point fondamental à retenir. Le premier désigne la réintégration dans un ouvrage d’un produit non considéré comme un déchet, utilisé à l’identique, comme par exemple une fenêtre déposée, nettoyée, puis reposée telle quelle. Le second implique un produit devenu déchet, utilisé à un autre usage. Quant au recyclage, il suppose un retraitement complet de la matière. Dans la pratique, ces termes sont souvent mélangés. Pour autant, leur distinction est essentielle, notamment pour la responsabilité juridique des entreprises et la traçabilité réglementaire des matériaux.
Le réemploi, une démarche encore marginale… mais en mutation
En 2021, selon l’ADEME, moins de 1 % des déchets du bâtiment étaient réellement réemployés. Un chiffre dérisoire, mais appelé à évoluer. Sous l’impulsion de la loi AGEC, plusieurs dispositifs visent à structurer le secteur : REP PMCB, diagnostic PEMD, objectifs pour les marchés publics, et sortie du statut de déchet pour certains matériaux. La réglementation environnementale RE2020 va plus loin : elle incite directement au réemploi en considérant ces matériaux comme à impact carbone nul dans le calcul ACV des bâtiments neufs.
Le point de vue des entreprises : de la curiosité à la nécessité
Côté terrain, la Fédération Française du Bâtiment (FFB) constate un intérêt croissant des professionnels, notamment chez les artisans de métiers historiques comme la pierre ou la charpente. Ces derniers se disent souvent frustrés de devoir jeter des matériaux encore parfaitement utilisables. Mais pour beaucoup, le modèle économique du réemploi reste flou. Gisements épars, incertitudes techniques, manque d’assurance… la chaîne de valeur est encore fragile. Et les marchés publics qui imposent du réemploi sans en garantir les moyens n’aident pas à lever les doutes.
Responsabilité inchangée, exigences renforcées
Un point clé rassure, à savoir que les garanties légales du constructeur s’appliquent de la même manière que l’on utilise des matériaux neufs ou de réemploi. Qu’ils soient fournis par le maître d’ouvrage ou par l’entreprise, les obligations en matière de garantie décennale, de parfait achèvement et de bon fonctionnement demeurent. Ce cadre permet aux entreprises de s’engager, à condition que les produits réemployés soient caractérisés techniquement et intégrés dans des process maîtrisés.
Où se procurer des matériaux de réemploi ?
Le site OPALIS.eu recense les fournisseurs de matériaux de réemploi en France, Belgique, Luxembourg et Pays-Bas. De nombreuses plateformes émergent aussi pour mettre en lien professionnels et gisements : Cycle Up, StockPro, Backacia, Baticycle, Articonnex, Sinfina, ou encore des initiatives régionales comme Mineka (AURA) ou Batirécup (Bretagne). Autant d’outils qui facilitent la mise en relation entre chantiers producteurs de déchets et ceux en demande de matériaux, dans une logique de circuit court.
La feuille de route de la FFB : 4 leviers pour déverrouiller le marché
Pour accélérer la transition, la FFB a formulé quatre demandes claires, au premier rang desquelles des matériaux caractérisés, avec des fiches techniques claires sur leur état, performance et durabilité. Elle a aussi appelé à un cadre juridique et assurantiel sécurisé, avec l’intégration du réemploi dans la « technique courante », et à des incitations économiques cohérentes, à adapter aux ressources locales.
Enfin, la FFB a publié en 2021 un REX chantiers réemploi, qui détaille des bonnes pratiques pour intégrer ces matériaux en toute sécurité : anticipation des besoins, adaptation des plannings, contractualisation avec les fournisseurs, prise en compte des frais de stockage ou de nettoyage…